Rassemblées dans un petit jardin fermé attenant à l’église, côté sud, il y en a sept complètes, scellées dans le sol d’un massif autour d’une stèle pyramidale, en pierre, portant une belle croix avec girouette en fer forgé, croix qui aurait été originellement au sommet du clocher de l’église avant sa reconstruction : une cassée au niveau du collet et également scellée mais dans un coin de platebande, quatre de taille beaucoup plus modeste, en moins bon état, et trois autres très dégradées et incomplètes, toutes les sept posées à même le sol autour du même massif.
Origine de ces stèles
Après entretien avec des témoins oculaires et bien placés à la mairie à l’époque de leur découverte, leur origine est sûre.
En 1948, la municipalité décide la construction d’un château d’eau, sur le point le plus élevé de la commune, dans un ancien cimetière désaffecté, abandonné depuis 1878. Ce cimetière, au nord de l’église, porte aujourd’hui quelques magnifiques cèdres du Liban. Lors des travaux de terrassement pour les fondations de ce réservoir, les ouvriers ont exhumé, parmi quantité d’ossements, ces stèles conservées aujourd’hui. Et comme le château d’eau n’occupait qu’une petite partie de ce vieux cimetière, il est sûr que, si tout l’emplacement était fouillé, nous verrions surgir toute une collection de stèles enfouies sous une importante couche de terre.
Destination et signification de ces stèles
Pour tous les chercheurs et archéologues, ce sont des stèles funéraires. Leur situation, presque toujours dans les cimetières, ne laisse aucun doute. Quelques unes auraient été trouvées ou se trouveraient encore en bordure de chemin, à un carrefour. Est-ce bien leur situation originelle ?
À Pexiora, siège depuis les années 1100-1101 d’une des premières Commanderies des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, sur l’ancienne voie romaine, le cimetière Saint-Jean se trouvait exactement au sud de l’église actuelle, en partie dans le jardin actuel. Le cimetière où ont été trouvées les stèles, dénommé « cimetière grand » dans les textes, a été ouvert dans les années 1348-1350, lors de la construction de l’importante église actuelle attenant à la Commanderie – à la place d’une modeste chapelle érigée en 1124 – et pendant la terrible Peste Noire, dénommée « Gran Mortalitat », dans les documents anciens.
Ces stèles étaient-elles auparavant dans l’ancien cimetière Saint-Jean ? Y a-t-il eu transfert de sépultures ? Ou sont-elles apparues avec les nouveaux « locataires de ce cimetière grand ».
Comme elles sont absolument anépigraphes –sans aucune indication pas plus de date que de nom- il est bien difficile de répondre a ces questions.
Sont-ce des « croix cathares” ?
Aujourd’hui nous trouvons du « cathare » dans beaucoup de domaines – châteaux, maisons, sentiers pour ne pas parler de l’agneau cathare. Cependant, dans le pays d’oc, les anciens ont toujours parlé de « croix cathares » et presque tout le monde aujourd’hui utilise cette expression. Dans l’importante bibliographie consacrée à ce sujet, toutes les réponses sont possibles.
À Pexiora, les cathares circulaient tranquillement à l’ombre de la Commanderie et les Hospitaliers de Saint-jean de Jérusalem n’ont jamais fourni la preuve de quelque animosité ou agressivité à leur encontre.
Les seigneurs de Laurac, de leur côté, les soutenaient sérieusement et comptaient parmi leurs familles de nombreux parfaits et parfaites, croyants et croyantes.
Pour quelques auteurs, la croix grecque serait d’origine bogomile, manichéenne, donc cathare.
Le dernier cathare a été brûlé en 1321, à Villerouge-Terménès. Mais les cathares ne se montraient plus depuis déjà de nombreuses années. Donc à Pexiora, si les stèles étaient, à l’origine, à l’emplacement où elles ont été découvertes, c’est-à-dire dans le « cimetière grand », ouvert depuis la Peste Noire de 1348, elles ne devraient rien aux cathares.
Mais l’argument qui « frappe », il faut le chercher dans l’acharnement de l’Inquisition à faire disparaître tout ce qui a pu ou aurait pu avoir un quelconque rapport avec l’hérésie. Les stèles discoïdales sont des monuments d’art populaire à symbolique chrétienne, connus à travers de nombreux pays européens et débordant très largement le Moyen-Age (Stèle de Les Cassès datée 1666 – stèle de Ricaud faite en 1700). Il est vrai qu’elles se trouvent en grande quantité dans la région lauragaise qui fut aussi une des grandes zones d’implantation du catharisme occitan. Mais là s’arrête la coïncidence, le rapport de cause à effet. Le catharisme fut un christianisme refusant toute sacralisation du réel, toute symbolique, tout intérêt au corps physique, dépouille matérielle ne contenant plus rien de divin dès lors que l’âme l’avait quittée.
Les Bons Hommes ne croyaient pas davantage à la résurrection future de la chair et au jugement dernier.
D’où leur insouciance totale en matière d’inhumation. Ils enterraient leurs morts, croyants et bons chrétiens, n’importe où, dans le cimetière s’ils y étaient tolérés, sinon au fond du jardin, dans un champ quelconque, voire même les jetaient dans la rivière. Il aurait été inconcevable que le catharisme ait pu susciter ou avoir des monuments funéraires. Et quand bien même cela aurait été le cas, il aurait été plus inconcevable encore que l’Église triomphante des XIIème, XIIIème et XIVème siècles ait laissé en place la moindre trace du témoignage de l’hérésie.
Avec un soin et un zèle inouïs, l'lnquisition fit déterrer les cadavres encore repérables de ceux qui étaient morts hérétiques pour les faire brûler ; elle fit incendier et raser, après les avoir frappées de malédiction, les maisons ayant abrité un culte cathare ; elle fit disparaître tous les documents, et ils étaient rares à cause de l’insécurité, tous les écrits qui auraient pu rester en témoignage de cette déviation du christianisme qui s’exerçait de plus en plus dans la clandestinité. Le fait que ces stèles, quand elles ne sont pas postérieures au XIIIème siècle, soient tranquillement demeurées à leur place suffit à montrer sans équivoque que ces monuments étaient parfaitement dans la norme de l’orthodoxie triomphante. Et madame Anne Brenon, spécialiste reconnue du Catharisme, rajoute : « N’allons pas chercher à imaginer quelque conspiration du silence, quelque signification cachée, réponse des solidarités paysannes au zèle des Inquisiteurs. L’lnquisition se donna les moyens de sonder les reins et les cœurs, suscitant un tel climat de terreur et d’opprobre, par système de délation, sur plusieurs générations, que la plupart des secrets familiaux eux-mêmes se trouvèrent dévoilés. S’il y avait eu le moindre doute quant à l’orthodoxie des stèles lauragaises et de leur symbolique populaire, ces petits monuments ne seraient plus là pour nous voir nous interroger à leur sujet aujourd’hui… Stèles discoïdales et catharisme ne sont pour moi qu’une malencontreuse association ».